
En matière de droit de propriété, l'Administration a instauré une présomption fiscale de propriété. Le point dans notre astuce.
Petit rappel sur la transmission de la nue-propriété
Transmettre une partie de son patrimoine est possible : il s'agit de donner la nue-propriété d'un bien nous appartenant et d'en conserver l'usufruit. Dans ce cas, le donateur en nue-propriété garde l'usage du logement et peut le louer afin d'en percevoir des revenus. Cela permet d'anticiper et de transmettre un patrimoine de son vivant, sans pour autant se dessaisir de son bien.
Ainsi, à la seule condition que le donateur de la nue-propriété ne décède pas dans les 3 mois de la donation, seule la nue-propriété est imposée aux droits de donation. Lorsque le donateur décède, le nu-propriétaire recueille alors la pleine propriété du bien en franchise d'impôt (il n'a aucun droit à payer sur la valeur de l'usufruit).
Le notaire qui rédige l'acte de transmission de la nue-propriété insère généralement une clause de réversion. Concrètement, cela signifie que l'usufruit est constitué sur la tête de deux personnes successives (le plus souvent les conjoints) : le donateur de la nue-propriété conserve l'usufruit sa vie durant, étant entendu qu'à son décès l'usufruit est ensuite attribué à une autre personne que le nu-propriétaire. L'usufruit ainsi transmis s'éteint au décès du survivant des deux personnes désignées dans l'acte notarié.
Propriété divisée : qui est propriétaire, l'usufruitier ou le nu-propriétaire ?
Définition de la « présomption fiscale de propriété »
Cette présomption est visée par l'article 751 du Code général des impôts :
- C'est la supposition juridique et fiscale qu'une personne est propriétaire d'un bien, sauf preuve contraire rapportée par elle.
- Est réputé faire partie de la succession de l'usufruitier tout bien « appartenant, pour l’usufruit, au défunt et, pour la nue-propriété, à l’un de ses présomptifs héritiers ou descendants d’eux, même exclu par testament ou à ses donataires ou légataires institués, même par testament postérieur, ou à des personnes interposées (…) ».
Utilité de cette présomption
La présomption fiscale de propriété (article 751 du CGI) est un moyen fiscal utile à l’administration :
- parce qu'il peut être tentant d'utiliser le démembrement de propriété pour transmettre une partie de son patrimoine et limiter, par exemple, le paiement de droits de succession ;
- pour réintégrer la valeur en pleine propriété du bien (dont la nue-propriété aura été transmise) dans l'actif taxable de la succession du donateur décédé depuis.
Présomption fiscale de propriété : le choix entre droit d'usage et usufruit
Le propriétaire d'un droit démembré peut transmettre à titre gratuit ou onéreux (vendre) son droit réel sur le bien : il peut ainsi en céder l'usufruit ou la nue-propriété.
Il peut aussi céder ou donner, mais cette fois de façon plus restreinte, son droit personnel : en effet, le droit d'usage confère à son détenteur des droits moins importants que ceux transmis par l'usufruit. Concrètement, un droit personnel, encore appelé « droit de créance », est le droit d'exiger d'une personne appelée « le débiteur », une obligation quelconque détenue par une autre personne, appelée « le créancier ». Il s'oppose au droit réel, qui porte sur un bien, c'est-à-dire un pouvoir direct qu'exerce une personne sur une chose déterminée.
Droit d'usage : un droit personnel
Le droit d'usage est un droit personnel, ce qui signifie qu'il est issu de la volonté de son propriétaire et autorise l'occupation du bien :
- seul le titulaire de ce droit, ainsi que des membres de sa famille proche (descendants, ascendants, conjoint), ou exceptionnellement des tiers mentionnés dans l'acte ayant constitué ce droit, peuvent utiliser le bien ;
- ce droit d'usage ne peut pas être cédé (vendu), ni donné, et encore moins hypothéqué ;
- il est toutefois permis par la loi de renoncer à son droit d'usage au profit du propriétaire du bien en constituant une rente viagère.
Bon à savoir : la rente viagère est une somme d'argent versée de manière régulière, généralement mensuellement, à une personne sa vie durant et jusqu'à son décès ; en pratique, on l'utilise lors de l'achat d'un bien immobilier en viager.
Usufruit : un droit réel
A contrario, l'usufruit étant un droit réel, son titulaire peut le vendre, ou le donner, voire l'hypothéquer.
L'usufruit présente l'avantage de conférer à son bénéficiaire non seulement l'usage et la jouissance du bien, mais également le droit d'en percevoir les fruits et les revenus, ce qui permet notamment à son titulaire de bénéficier de revenus complémentaires.
Avantages du droit d'usage
Sur le plan civil, la vente par un parent à un enfant avec réserve d'usufruit est assimilée légalement à une donation déguisée, à moins que les autres héritiers réservataires acceptent expressément cette opération et renoncent à tout recours à l'encontre du bénéficiaire.
Bon à savoir : d'un point de vue fiscal, notamment pour le calcul des droits de donation ou de succession, le droit d'usage est évalué à 60 % de la valeur de l'usufruit viager.
En outre, la présomption de conservation de l'usufruit des parents (article 751 du CGI) ne s'applique pas aux transmissions d'un droit d'usage. En effet, les dispositions fiscales, comme les dispositions civiles, rejettent la donation par un parent à un enfant d'un bien en nue-propriété avec conservation de l'usufruit par le donateur.
Concrètement, cela signifie que, lors du partage successoral, la valeur à prendre en compte pour une donation en nue-propriété, avec réserve d'usufruit au profit du donateur, est celle de la pleine propriété du bien objet de ladite donation. Le donataire se retrouve alors taxé comme s'il avait toujours été plein propriétaire. Le droit d'usage présente donc un intérêt fiscal réel par rapport à l'usufruit.
Faire échec à la présomption fiscale de propriété
La loi prévoit néanmoins des cas où la nue-propriété du bien n'aura pas à être réintégrée dans l'actif (taxable) de la succession.
Donation consentie plus de 3 mois avant le décès
L'article 751 du CGI envisage, effectivement, la possibilité de tenir en échec la présomption de propriété :
- En cas de donation consentie par le donateur plus de 3 mois avant son décès.
Exemple : Mme Y fait une donation partage d'un immeuble à ses deux filles et en conserve l'usufruit.
- Dans l'hypothèse où le démembrement de propriété résulte d'une succession ou d'un contrat de mariage.
Exemple : Mme Y hérite (de M. X) de l'usufruit d'un immeuble tandis que ses enfants héritent de la nue-propriété.
Bon à savoir : si la donation doit être régulière (acte authentique, contrat de mariage...), permettant également d'en fixer la date, la régularité ne suffit pas à faire tomber la présomption.
Décès soudain du donateur moins de 3 mois après la donation
Par principe, la donation régulière ne suffit pas, puisque, bien qu'effectuée par acte notarié, bien que publiée, elle sera réintégrée dans l'actif successoral si le donateur est décédé moins de 3 mois après.
Néanmoins, il existe un tempérament. En effet, l’administration fiscale a admis, à l'issue d'une jurisprudence, que constituait la preuve contraire :
- un démembrement résultant d'un partage complet et sincère ;
- un décès survenu soudainement alors que le donateur était en bonne santé au moment de la donation.
La présomption de l'article 751 du CGI est une présomption simple et peut donc être combattue en prouvant la sincérité du démembrement de propriété (C.cass., 17 janvier 2012, pourvoi n° 10-27.185).